jeudi 12 avril 2012

La révolution citoyenne ne sera pas un long fleuve tranquille

Certaines voix de la "vraie" gauche avancent ceci : une crise politique de grande ampleur se produira en France immédiatement après le retour des socialistes aux affaires...
Jacques Sapir (1) est de ceux-là. Il s'est prêté au jeu des pronostics pour faire avancer ses idées. La sortie de l'Euro est son cheval de bataille, ainsi que celui d'un courant minoritaire du Front de Gauche qu'il soutient... Il est interviewé par François Ruffin pour l'émission "Là-bas si j'y suis" - France-Inter du 11 avril 2012.  
Voici l'essentiel du verbatim, avec nos commentaires désobligeants entre crochets. 
Et vous, vous le voyez comment l' après-mai 2012 ? Champagne ou gueule de bois ?
(...)

[ j'ai mis mes propres commentaires en italiques entre crochets]

[Voici le début du film de l'après-juin 2012 selon J Sapir : ]

" Aujourd'hui nous sommes face à cette réalité que dans une monnaie unique, le droit du travail et le droit social ont tendance à s'aligner sur le moins-disant et le moins-coûtant. Admettons que FH soit élu : il sera confronté à une crise financière et économique extrêmement importante avant la fin de cet été. Tout le monde sait que les questions de la Grèce ne sont pas réglées, tout le monde sait qu'il faudra un nouveau plan de soutien à la Grèce entre le mois d'août et le mois de septembre. Tout le monde sait que la crise de l'euro qui est pour l'instant assoupie va se réveiller de manière très forte. Enfin... La situation actuelle je la compare à un feu de tourbe, vous savez, dans un feu de tourbe ça brûle sous la surface, vous allez me dire oui, ça va, on a éteint l'incendie... et puis tout d'un coup vous avez une résurgence extrêmement importante du feu. C'est très exactement ce que nous allons connaître à partir de cet été, ou du début de cet automne. Et à ce moment-là il sera confronté à la contradiction, entre les espérances auxquelles son élection à donné lieu et le fait qu'il tranchera probablement dans un sens européen, et qu'il dira probablement : " Il nous faut faire de nouveaux sacrifices pour pouvoir rester dans la zone euro". Il va probablement essayer de déguiser ces sacrifices en disant "nous ne faisons pas un démantèlement de notre droit du travail, nous allons faire une réforme mais vous allez voir, si certains perdont un petit peu, d'autres vont y gagner".
C'est des foutaises. Pardonnez mon expression. Mais en fait nous allons aboutir à un démontage extrêmement rapide et de notre droit social, et de notre droit du travail. Qu'est-ce qui se passera ? Il y aura à l'évidence des mouvements sociaux extrêmement importants. Et donc je pense que Monsieur François Hollande va se transformer en un Georges Papandréou français. Ca me semble absolument inévitable. Sauf que l'on peut espérer que la situation politique de la France étant un petit peu différente de la situation politique de la Grèce, on aboutisse cette fois-ci à un front du refus par rapport à l' euro, un "ça suffit !" qui pourrait être majoritaire. Et à ce moment-là on entre dans une crise politique. Je ne pense pas que dans ce contexte, François Hollande reste beaucoup plus que deux ans, deux ans et demi au pouvoir. "

[ A part que la candidature de FH ne suscite aucun enthousiasme -celà ne change rien- jusque là ce scénario se tient ! ]

F.Ruffin: - Finalement, se dessinerait dans cette campagne présidentielle la force politique de rechange pour quand le Parti Socialiste aura capitulé devant les opérateurs de marché ?

[ Question passe-plat ^^ ]

J.Sapir : - Si F.H capitule il y a effectivement une chance qu'en France... il y a un seul parti important à la gauche du PS, le Front de Gauche. Par ailleurs il y a des courants à l'intérieur du PS qui s'ils sont amenés à rompre avec le PS trouveront assez naturellement leur place au sein du FdG. Donc on peut tout-à-fait imaginer, par exemple dans des sondages au début de l'année prochaine, un Front de gauche à 30-35 %, et un Parti Socialiste réduit à 10 ou 15 %. Evidemment, se posera à ce moment-là le problème de la légitimité d'une assemblée nationale qui ne représentera plus ces nouveaux équilibres, et on voit bien que le basculement des forces politiques réelles par rapport à l'image légale des forces politiques telle qu'elle aura été enregistrée à la fin de ce printemps, ce décalage sera tel qu'il y aura un problème majeur de légitimité du pouvoir. (...)  Quand les gens sentent que le pouvoir n'est plus légitime ils ne lui obéissent plus. Et donc se posera la question de savoir si le président prend acte de ce changement politique et dissous la chambre ou pas...

[ Sapir extrapole à partir de l'éventualité d'une déstabilisation rapide  -ou d'une instabilité chronique- de la majorité parlementaire élue en juin prochain (on préfère ces termes à celui de "perte de légitimité").
Mais il faut avaler un chapelet d' hypothèses qui compliquent la suite du scénario. 
- La première, la défection de pans suffisamment importants du vieux parti socialiste au profit de l'autre gauche. Qui ? Montebourg Lienneman Emmanuelli et leurs amis ? Ces courant sont sans voix actuellement. Certains de leurs "leaders", comme Montebourg, soutiennent activement le candidat Hollande. A moins d'un raz-de-marée gréviste digne de 36, et encore, tout ce qui devait en sortir en est sorti. 
- La seconde, celle d'un FdG propulsé par un coup d'accélérateur dont seule l'Histoire à le secret, qui choisirait de s'affirmer stratégiquement comme une force parlementaire et extra-parlementaire (populaire) indépendante du PS, dotée de capacités d'initiative allant au-delà de la répartition des postes et des circonscriptions... 
- La troisième, que cette gauche montante soit assez forte et sûre de son fait pour acculer Hollande à la dissolution de l'Assemblée. Or il est beaucoup plus probable qu'elle n'aura même pas à en débattre. Comme on a pu le voir  en Allemagne, en Grèce -ou en Italie avec le compromis historique DC/PCI dans les années de plomb, face au péril rouge- Hollande et ses amis s'évertueront à créer les conditions d' une coalition de gouvernement élargie au centre et à une partie de la droite. ]

... Et là, d'une certaine manière je dirais que toutes les possibilités sont ouvertes, y compris celles d'une tentative de coup d'Etat militaire. Et Michel Rocard avait dit : ' Il faut un coup d'Etat militaire en Grèce pour que la politique de la troïka soit appliquée'. C'est un dirigeant du parti socialiste qui en appelle aujourd'hui à la dictature militaire ! Il faut voir à quelle extrémités en sont aujourd'hui les plus européistes de nos hommes politiques. Donc aujourd'hui nous avons une ligne d'évolution qui conduit à un pouvoir minoritaire se maintenant au pouvoir par la force, et une ligne qui aboutit plutôt à un pouvoir qui serait majoritaire, mais qui impliquerait une rupture massive avec le cadre européen et la zone euro.

F.Ruffin : - Finalement vous êtes d'accord avec l'idée de (?) gardons le droit du travail et sortons de l'euro-zone ?

J.Sapir : - Oui, et si vous voulez, ce sera le choix d'un homme. Soit F.H fait le choix de l'Europe, mais à ce moment-là il faut qu'il l'assûme jusqu'au bout, et il faut qu'il comprenne que ce choix de l'Europe est un choix de la dictature. (...) Mr François Hollande n'a pas l'âme d'un dictateur. Comprenant quelle est la logique implacable à laquelle sa politique le conduit, [il peut] changer de politique et se décider de rompre avec la zone euro. Nous allons entrer dans des mois et des années de très grande tension sociale, économique et politique, et je pense que chacun, que ce soit les citoyens ou les hommes politiques, devra prendre ses responsabilités. [point final à l'entretien ]

[ ...  Et plus ça va durer, moins des mesures comme le ré-échelonnement et la ré-évaluation de la dette souveraine de la France, qui figurent dans le "Programme partagé" du FdG, seront à la hauteur des enjeux. De même qu'il est a-priori vain de chercher à convaincre les pays membres de l' Euro à majorité néo-libérale de revenir sur le statut de la BCE juste en jouant de nos muscles, comme le répète J-L Mélenchon. Tandis que les spéculateurs, loin de se calmer, se dotent de nouveaux moyens de saigner à blanc la population, l'annulation de la dette (2) et la sortie du carcan monétaire et institutionnel européen sont objectivement posées. 
La rupture avec l'Europe du Traité de Lisbonne est aujourd'hui le meilleur remède aux souffrances des peuples Grec, Portugais, Espagnols, etc.   En France, la première manche consistait à rassembler les forces immédiatement disponibles de la gauche du Non La deuxième manche, tout comme en Grèce ou au Portugal, opposera les eurobéats libéraux et socio-libéraux à la masse des salariés. Cette fois, le débat doit sortir du confinement parlementaire et être tranché par la rue. " La campagne contre la dette ne peut pas se mener par procuration (...) En tant que mot d'ordre de mobilisation politique de masse, celui de l'annulation ou la dénonciation des dettes a plus de chance d'être compris que celui de restructuration. Il énonce un clivage, prépare un face-à-face " écrit François Chesnais. (3) 
L' épreuve de force ne fait donc que s'engager, l' issue en sera aussi imprévisible et infiniment moins pacifique que lors du référendum de 2005.]

(1) Economiste, Auteur de " Faut-il sortir de l'Euro ? ".
(2) Cf sur la dette : " Grèce, 11 millions de morts vivants"  de Gérard Filoche.
(3) In " Les dettes illégitimes, Quand les banques font main basse sur les politiques publiques " de François Chesnais, Raisons d'Agir Editeur.



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